Voilà une année maintenant que la douleur s'est installée dans ma vie, comme ça sans crier gare, un jour vous vous apercevez que vous avez une légère douleur quand vous levez le bras. Comme vous n'êtes pas du genre à trop vous écouter et que c'est juste quand vous levez le bras, vous continuez votre petite vie comme si de rien n'était, vous vous dites que c'est peut être des courbatures parce que vous êtes allée à la piscine tout l'hiver….le temps passe et la douleur est toujours là mais vous ne l'écoutez toujours pas....vous voyez toute la journée des patients avec des cancers et vous vous dites que ce n'est rien à coté de ce qu'ils vivent…..ça va aller et puis un jour une douleur dans les cervicales qui est déjà un peu votre point faible, l'omoplate qui coince, le trapèze qui devient dur comme un tronc d'arbre, la tête qui ne tourne plus et il,est trop tard….la machine dit stop, nous sommes en juillet, 4 mois après les premières douleurs.
Vous n'avez pas d'autre choix que de tout arrêter, on vous explique que vous avez sans doute une névralgie cervico brachiale, une tendinite du bras, les examens ne révèleront rien d'anormal pour mon âge me dit on, les bien pensants commencent à vous dire que vous en faites peut être un peu trop, que votre vie est un peu compliquée, que vous êtes peut être trop ci ou pas assez ça….qu'il faut ralentir, je passe un été bloquée entre examens, kiné, ostéo, médecin et la culpabilité d'en avoir trop fait et d'être arrêté là en plein au milieu de l'été. 2 mois passent, j'arrive à sortir du carcan et reprend ma vie pleine d'enthousiasme et la ferme intention de ralentir le rythme, d'apprendre à faire les choses moins vite, d'en faire peut être moins aussi, de prendre soin de moi….j'essayerai alors le yoga qui m'aura plus déprimé que fait du bien tant je me suis rendue compte que mon bras avait bel et bien un gros problème, pratiquement aucun exercice possible alors que je voyais des gens faire la bougie autour de moi…..le kiné fera ce qu'il pourra 2 fois par semaine, je tente alors les bains thermaux 1 fois par semaine ou je revis un peu pendant quelques heures, tout est plus facile dans l'eau chaude……….entre temps, je vide le cumulus d'eau chaude matin et soir sous la douche pour dégripper un peu mon bras mais voilà le soulagement est de courte durée
La douleur s'intensifie et l'appui sur l'épaule devient impossible, vous tournez en rond dans votre lit pour trouver une position qui ne fait pas mal, vous ne savez que faire de votre bras qui vous gêne dans toutes les positions, et la douleur ce poison qui se diffuse commence à vous voler votre sommeil moi qui dormait comme un bébé. Commence alors le cercle infernal des somnifères parce qu'il faut bien aller travailler le matin, le médecin qui vous dit que les anti douleurs il ne faut pas les prendre plus de 10 jours….que c'est normal d'avoir des tendinites à mon âge…...et alors les autres jours on fait comment ? les autres jours…..on attend, on attend et on pleure parce qu'on ne se reconnait plus, on pleure parce qu'à 53 ans on se lève le matin en ayant l'impression qu'on en a 80, on pleure parce qu'on a l'impression que les gens pensent qu'on fait du cinéma, on pleure parce qu'on ne vous demande même plus comment on va, alors on commence à chercher soi même…d'autant que la douleur ressentie quelques mois plus tot dans le bras gauche s'installe sournoisemet dans le bras droit. je ne peux pas croire qu'une simple tendinite puisse faire aussi mal ; je demande donc au Dr Google "douleurs dans l'épaule" et le bon Dr Google vous répond "et si c'était une capsulite rétractile de l'épaule"? …..capsulite....je ne connais pas cette maladie…..je lis les symptômes et les reconnais tous sans exception…..douleur intense qui s'intensifie la nuit, impossibilité de faire les gestes du quotidien, se laver, s'habiller, se laver les cheveux, pas un geste qui ne soit pas douloureux…...je frémis en voyant la durée de cette maladie …….je suggère aux bien pensants qui me soignent…...ne serait ce pas une capsulite ? tous en cœur me répondent non, vous auriez l'épaule bloquée; Ouf….me voilà rassurée parce qu'elle me faisait pas trop envie cette maladie…..c'est donc moins grave…..
Je repars, ma tendinite sous le bras….travail, kiné, médecin, bains chauds…...avec des mouvements de plus en plus réduits, impossible d'attacher son soutien gorge, refus de toute vie intime tellement la peur qu'on s'appuie sur mon bras est là, plus de force dans les mains, impossible d'enfiler une tubulure dans une perfusion (ça c'est mon travail d'infirmière), à 11 h du matin vous commencez à vous dire vivement 17 h que je puisse poser ma tête parce que vos cervicales hyper sollicitées recommencent à vous faire très mal…..à 20 h vous êtes épuisée, vous allez vous coucher mais voilà, les 2 épaules prises …..vous ne dormez pas alors vous prenez la précieuse petite pilule qui vous fera dormir 3 petites heures et le reste de la nuit vous recommencez à tourner comme un lion dans une cage. Le lendemain, lorsque vous avez réussi à sortir de votre lit, pris votre douche, vous habiller, vous sécher les cheveux de temps en temps, vous êtes déjà torpillée et votre journée n'a pas encore commencé.
Nous sommes fin janvier, devant l'échec de tout ce que j'ai pu tenter, accupuncture, gua sha et autres médecines aux noms improbables, je décide de consulter un spécialiste des épaules que je verrai en février et qui m'explique la tendinite blablabla….qu'il faut faire un arthro scanner pour voir les tendons, qu'il pourra me faire des infiltrations mais il faut d'abord voir les acromions…..encore un détail de notre squelette que j'ignorais…..qu'il faudra peut être les raboter sinon les infiltrations ne serviront à rien….qu'il faudra peut être opérer….blablabla.....je repars avec un RV de scanner 1 mois plus tard, en serrant les dents, je patiente, je suis en vacances bientôt donc me dis que ce n'est pas trop grave si je ne dors pas, retourne chez le médecin parce que je n'ai plus d'anti douleurs et me rend compte qu'ils ne font pratiquement plus d'effets….il faut passer aux opiacés…...plus que quelques jours à tenir et j'aurai enfin ce scanner…..
C'était compter sans notre corona planétaire…..examens annulés et anéantissement. Je reprends le travail dans cette période trouble et particulière, premier choc quand vous croisez une amie qui vous dit "tu as l'air crevée" alors que vous revenez de 2 semaines de vacances confinement ou les mots "rien faire" ont pris toute la place. Et là….vous croisez une âme bienveillante qui se démène pour que je vois un orthopédiste …..je travaille dans un hôpital, ça aide….Le dit médecin me verra le lendemain , me demande de lui raconter mon histoire depuis le début, puis se lève, prend mes bras l'un après l'autre, essaye de les amener dans des positions ou il y a bien longtemps qu'ils ne vont plus…..se rassoit…..et vous dit le plus simplement du monde que vous avez une capsulite malheureusement des 2 épaules à la fois ce qui est plutôt rare, que vos cervicales se bloquent parce que lorsqu on a mal au bras, notre cerveau nous dit de ne pas s'en servir et ce sont d'autres muscles qui prennent le relais mais n'étant pas fait pour cela, ils se contractent et ces muscles ce sont les trapèzes….tiens tiens…..que l'on ne connait pas la cause de cette maladie, qu'elle touche 5 % de la population de 40 à 60 ans, surtout des femmes, qu'il va falloir être patiente, que la maladie évolue en plusieurs phases…..que je suis dans la phase aigue ou il faut éviter les manipulations (ça tombe bien…..plus un seul kiné qui ne travaille) , qu'on ne sait pas ralentir ou arrêter le processus de rétrécissement de cette membrane (la fameuse capsule...) mais qu'il y a une bonne nouvelle…..on guérit presque toujours complètement en 2 ans. Je ressors du cabinet en larmes, dépitée et en colère…..tout ce temps perdu.
2 jours plus tard, grâce au soutien inconditionnel des gens qui se reconnaitront je refais surface et prend la mesure que l'expression "prendre son mal en patience" signifie. La douleur d'une capsulite ne vous lâche jamais, ne vous laisse aucun répit même au repos. Un an que je ne me reconnais plus moi qui était une fonceuse, qui aime tout de la vie, qui ai toujours mille projets dans la tête, un an que la seule chose qui m'a fait garder la tête hors de l'eau c'est de coudre malgré la douleur, continuer à créer parce que c'est mon opium à moi et la patience de mon chéri parce qu'il en faut pour supporter …..l'entourage ce sont souvent les oubliés….., des mois à mettre ma vie entre parenthèse parce qu'on m'a fait culpabiliser de trop en faire ou de mal faire….
Aujourd'hui, je ne suis plus une soignante, je suis une patiente qui a besoin de soins et mon dieu que c'est dur à accepter, je vais prendre le temps qu'il faudra pour cela parce qu'on est un mauvais soignant quand on n'est plus soi même, quand la douleur qui limite tous vos actes et occupe votre esprit à plein temps vous fait perdre la patience dont les malades dont je fais partie aujourd'hui ont besoin. Je prendrai le temps qu'il faut pour retrouver le sommeil et une vie normale et ne laisserai plus jamais jamais jamais personne me culpabiliser de quoi que ce soit. Je savais par mon expérience professionnelle que traiter la douleur était une priorité….aujourd'hui je mesure à quel point elle peut vous gâcher la vie, vous faire sombrer surtout quand on ne peut pas lui donner d'explications. La pose du diagnostic aura été un tournant, je ne l'oublierai pas quand sera venu pour moi le temps de reprendre mon travail. La deuxième leçon que je retiendrai, c'est de s'écouter….vous savez la petite voix au fond de vous qui sait plein de choses mais qu'on n'écoute pas parce qu'il y a plein de gens autour de nous qui savent mieux…..et la dernière leçon sera de laisser au bord du chemin les gens qui n'ont pas la même définition que vous des mots amitié et bienveillance.
Demain, j'aurai des infiltrations dans les 2 épaules, il aura fallu 1 an ; je sais qu'il y a encore du chemin à parcourir et qu'il faudra encore de longues séances de rééducation pour retrouver la mobilité de mes bras mais je vais m'accrocher à "on en guérit presque toujours complètement", et à toi Isa , mon âme bienveillante je dis un immense MERCIIIIIIII
Vous l'aurez compris…..pas de cousette à vous montrer cette fois, seulement le partage d'une expérience douloureuse qui servira peut etre un jour à quelqu'un, ce sera déjà beaucoup….
Bon dimanche ensoleillée…..